
À la fin du XIXe siècle, alors que l’Église catholique en Haïti tentait de s’affirmer face à un pouvoir politique méfiant, le pays fut frappé par une terrible épidémie de petite vérole entre décembre 1881 et mars 1882. Cette crise sanitaire, venue du nord, ravagea Port-au-Prince et mis à nu les tensions entre l’Église et l’État. Tandis que les évêques luttaient pour faire appliquer une vie chrétienne authentique et rejeter le syncrétisme, le ministre des Cultes Thomas Madiou, soutenu par des journaux anticléricaux comme L’Œil, multipliait les obstacles. Malgré les attaques et la volonté manifeste de dénoncer le Concordat signé vingt ans plus tôt, la foi populaire trouva une nouvelle vigueur.
Ce contexte troublé vit émerger un geste providentiel : l’introduction de la dévotion à Notre-Dame du Perpétuel Secours. C’est Mme Desjardins, une fidèle revenue de Paris, qui apporta à Bizoton une image de la Vierge. Le Père François Kersuzan, frappé par cette apparition, s’en fit l’apôtre zélé. La foi du peuple s’enflamma : alors que les prêtres tombaient malades en soignant les victimes, les fidèles se tournaient avec ferveur vers la Vierge. Plusieurs clercs se réfugièrent chez Mme Desjardins, et l’image mariale devint rapidement un symbole d’espoir. Le silence méprisant de Mgr Guilloux face aux attaques de L’Avant-Garde renforça encore davantage la dignité morale de l’Église.
Mgr Guilloux et le P. Kersuzan jouèrent un rôle clé dans la diffusion de cette dévotion. Évêque du Cap-Haïtien, ce dernier lança la construction du Collège Notre-Dame du Perpétuel Secours, bien qu’il ne vît pas l’achèvement du projet. Il rêvait d’élever une chapelle, voire une basilique, sur une colline dominant la ville, avec une cloche dont la voix serait celle de Marie appelant ses enfants à la prière. Ce rêve prophétique, s’il ne s’est pas réalisé comme prévu, trouva un écho inattendu avec l’arrivée des moniales Rédemptoristines au Cap-Haïtien, venues prendre la relève des Carmélites.
Dans ses Collecta, Mgr Jean-Marie Jan a préservé des extraits précieux de la correspondance entre Mgr Guilloux et Mgr Hillion, de 1872 à 1885. Ces lettres, conservées jusqu’en 1950 avant d’être détruites à cause de leur mauvais état, témoignent de la violence de l’épidémie et du courage de l’Église. Grâce à la ferveur du peuple, guidée par ses pasteurs, la dévotion à Notre-Dame du Perpétuel Secours s’est enracinée dans la culture religieuse haïtienne comme un phare de consolation et de résistance spirituelle face à l’adversité.
Marie Jessie Flore ST VIL